De la structure ternaire de quelques éléments de la messe

Comme il est facile de s'en apercevoir, les ternaires abondent dans la messe, tant dans sa structure globale que dans ses divers éléments. Cependant, il faut prendre garde que tous ces ternaires ne s'assimilent pas les uns aux autres, car il en est de plusieurs espèces. Ceux que nous nous proposons d'envisager ici sont constitués d'un élément central encadré par deux parties plus ou  moins symétriques, comme dans la formule Hosánna in excélsis - Benedictus qui venit in nómine Dómini - Hosánna in excélsis, ou encore, comme dans le Kyrie, dont non seulement l'ensemble est construit de la sorte, mais aussi, si l'on tient compte des répons, chacune de ses parties (cf. la fin de Signification de la structure tripartite de la liturgie eucharistique). René Guénon a souvent écrit sur cette forme de ternaire, notamment dans le ch.IX du Symbolisme de la Croix.


Le Pater

Il y a, dans la tradition islamique, un hadîth qudsî sur la Fâtiha, la prière qui ouvre le Coran [1]. En voici un petit commentaire par Ibn ‘Arabî :

« La prière est une œuvre d’adoration « partagée entre Dieu et son serviteur en deux moitiés : une moitié appartient à Dieu et l’autre au serviteur », ainsi qu’il est dit dans une notification véridique énoncée directement par Dieu le Très-Haut [il s’agit du hadîth qudsî en question] : « J’ai partagé la prière rituelle entre Moi et Mon serviteur en deux moitiés : une moitié M’appartient, l’autre appartient à Mon serviteur ; et à Mon serviteur revient ce qu’il demande. Quand le serviteur dit : « Au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux [ce verset et les suivants sont ceux de la Fâtiha], Dieu dit : « Mon serviteur Me mentionne » ; quand le serviteur dit : « la louange est à Dieu le Seigneur des Mondes », dieu dit : « Mon serviteur me louange », quand le serviteur dit : « Le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux » ; Dieu dit : « Mon serviteur fait Mon éloge » ; quand le serviteur dit : « le Roi du Jour de la rétribution », Dieu dit : « Mon serviteur me glorifie, il s’en remet totalement à Moi ». » Cette moitié appartient dans sa totalité exclusivement au Très-Haut. Ensuite, le serviteur dit : « C’est toi que nous adorons et c’est Toi dont nous demandons l’aide » ; Dieu dit alors : « Ceci est entre Moi et Mon serviteur et à Mon serviteur revient ce qu’il demande », introduisant une association. Le serviteur dit enfin : « Guide-nous sur la Voie Droite, la Voie de ceux sur qui Tu répands Ta Grâce, non de ceux qui sont l’objet de Ta Colère, ni les égarés ; » Dieu dit alors : « (Ces paroles) appartiennent à Mon serviteur et à mon serviteur revient ce qu’il demande ». En effet, elles se rapportent exclusivement à Son serviteur, tout comme les premières se rapportaient exclusivement à Lui – qu’Il soit exalté ! » [Fûsus-al-Hikam ; p. 705 de la traduction de Gilis (Le Livre des Chatons des Sagesses)]

Il est assez remarquable qu’un commentaire similaire pourrait être fait du Pater [2], les trois premières demandes « se rapportant au Seigneur », les trois dernières « se rapportant au serviteur », et la demande centrale « introduisant une association » par l’intermédiaire du Christ aux deux natures, « le pain supraessentiel » [3]. En outre, les six demandes qui entourent la formule centrale semblent se correspondre deux à deux, en sens inverse : à la sanctification du Nom de Dieu répond le nom du malin : le Mal ; au règne de Dieu celui du malin : la tentation ; à la dualité du ciel et de la terre, harmonieusement unis, celle des dualités cosmiques, représentées par les débiteurs et les créanciers [4].

Pour essayer de faire comprendre la nature d'une structure rituelle telle que celle-ci, nous pouvons citer Clément d’Alexandrie, qui dit que de Dieu, « Cœur de l’Univers », « partent les étendues indéfinies qui se dirigent, l’une en haut, l’autre en bas, celle-ci à droite, celle-là à gauche, l’une en avant et l’autre en arrière ; dirigeant son regard vers ces six étendues comme vers un nombre toujours égal, il achève le monde ; il est le commencement et la fin (l’alpha et l’oméga), en lui s’achèvent les six phases du temps, et c’est de lui qu’elles reçoivent leur extension indéfinie ; c’est là le secret du nombre 7 » (cf. René Guénon, Le symbolisme de la Croix, chap. IV); les directions de l'espace, comme les demandes du Pater, s'opposent donc deux à deux autour d'un centre.


[1] Les « hadîth » sont des paroles prophétiques. Dans les hadîth dits  « qudsî », Dieu parle à la première personne. Exemple : « Les cieux et la terre ne peuvent Me contenir, mais le cœur de Mon serviteur croyant Me contient. »

[2] Et même de l'Ave Maria dans sa version latine si l'on considère que le nom de Jésus y tient lieu de centre.

[3] « l’expression ton arton ton epiousion, dans le texte grec du Pater, ne signifie nullement « le pain quotidien », comme on a l’habitude de la traduire, mais bien littéralement « le pain supraessentiel » (et non « suprasubstantiel » comme le disent certains, du fait de la confusion sur le sens du terme ousia que nous avons indiquée dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. Ier), ou « supracéleste » si l’on entend le Ciel au sens extrême-oriental, c’est-à-dire procédant du Principe même et donnant par conséquent à l’homme le moyen de se mettre en communication avec celui-ci. » (René Guénon, La Grande Triade, Ch.XXV). - Citons encore la première partie de cette note: "Le riz (qui équivaut naturellement au blé dans d’autres traditions) a aussi une signification en rapport avec ce point de vue [de la connaissance], car la nourriture symbolise la connaissance, la première étant assimilée corporellement par l’être comme la seconde l’est intellectuellement (cf. L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. IX). Cette signification se rattache d’ailleurs immédiatement à celle que nous avons déjà indiquée : en effet, c’est la connaissance traditionnelle (entendue au sens de connaissance effective et non pas simplement théorique) qui est la véritable « nourriture d’immortalité », ou, suivant l’expression évangélique, le « pain descendu du Ciel » (Saint Jean, VI), car « l’homme ne vit pas seulement de pain (terrestre), mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Saint Matthieu, IV, 4 ; Saint Luc, IV, 4), c’est-à-dire, d’une façon générale, qui émane d’une origine « supra humaine »."

[4] "[L'axe invariable] est le « support divin » de toute existence ; il est, comme l’enseignent les doctrines extrême-orientales, la direction selon laquelle s’exerce l’« Activité du Ciel », le lieu de manifestation de la « Volonté du Ciel» [...]. N’est-ce pas là une des raisons pour lesquelles, dans le Pater, aussitôt après cette demande : « Que votre règne arrive » (c’est bien du « Royaume de Dieu » qu’il s’agit ici), vient celle-ci : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel », expression de l’union « axiale » de tous les mondes entre eux et au Principe divin, de la pleine réalisation de cette harmonie totale à laquelle nous avons fait allusion, et qui ne peut s’accomplir que si tous les êtres font concerter leurs aspirations suivant une direction unique, celle de l’axe lui-même [...] ? (Le grain de sénevé)



Le Confiteor

Le Confiteor est composé d’une formule centrale ternaire (mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa) encadrée par deux parties symétriques qui énumèrent la même série hiérarchique de degrés universels et cosmologiques, identifiés aux membres de l’Église, dans l’ordre descendant : La Vierge et Saint Michel, ou la Shekinah et Metatron [1]; Saint Jean Baptiste, le plus grand des hommes, l’homme parfait ou primordial (cf. Guénon, La Grande Triade) ; la dualité des Saints Pierre et Paul, les colonnes de l’Église, et respectivement porteurs des clefs et de l’épée ; la multitude des Saints ; enfin, le prêtre et les fidèles. Ce sont là les canaux ou intercesseurs par lesquels montent nos prières, et par lesquels descendent les grâces (cf. Les "racines des plantes") ; et peut-être pourrait-on faire correspondre ces mouvements respectivement ascendant et descendant aux deux parties symétriques du Confiteor.

[1] Cf. Le langage secret de Dante et des "Fidèles d'Amour" : "M. Valli semble s’étonner de voir la Rosa Mystica figurer dans les litanies de la Vierge (p. 393) ; il y a pourtant, dans ces mêmes litanies, bien d’autres symboles proprement initiatiques, et ce dont il ne paraît pas se douter, c’est que leur application est parfaitement justifiée par les rapports de la Vierge avec la Sagesse et avec la Shekinah." Et Guénon ajoute cette note : "Il faut même remarquer que, dans certains cas, les mêmes symboles représentent à la fois la Vierge et le Christ ; il y a là une énigme digne d’être proposée à la sagacité des chercheurs, et dont la solution résulterait de la considération des rapports de la Shekinah avec Metatron", ce qui est entre autre à rapprocher, notamment en ce qui concerne Saint Michel, du ch.III du Roi du Monde. Cf. aussi Er-Rûh


Le Canon

Le Canon est composé de deux séries de prières symétriques encadrant les paroles centrales de la consécration. La première de ces séries commence, au Te igitur, par trois signes de croix sur les offrandes, puis termine, au Quam oblationem, par cinq signes de croix : trois sur les offrandes, puis une sur l’hostie seule, et enfin une dernière sur le seul calice. La deuxième série commence, au Unde et memores, par cinq signes de croix, les mêmes qu’à la fin de la première série, et termine, au Per quem hec omnia, par trois signes, les mêmes qu’au début du la première série. La symétrie est donc inverse, comme dans les demandes du Pater.

Pour illustrer ce que nous disions au début des différents genres de ternaires, nous citerons un texte de René Guénon qui nous semble avoir un rapport, non seulement avec le sujet général de ce site, mais aussi avec les trois derniers signes de croix du Canon, qui sont accompagnés des mots sancti+ficas, vivi+ficas, bene+dicis (Caïn etAbel, dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps) :

« […] Le mouvement alternatif des échanges peut d’ailleurs porter sur les trois domaines spirituel (ou intellectuel pur), psychique et corporel, en correspondance avec les « trois mondes » : échange des principes, des symboles et des offrandes, telle est, dans la véritable histoire traditionnelle de l’humanité terrestre, la triple base sur laquelle repose le mystère des pactes, des alliances et des bénédictions, c’est-à-dire, au fond, la répartition même des « influences spirituelles » en action dans notre monde […] »

Pour se rendre compte du rapport que nous indiquons ici, il faut savoir que le monde psychique touche de très près à la nature même de la vie (vivi+ficas) (Cf. L'Homme et son Devenir selon le Vêdânta, ch.XIV ou Quelques remarques sur le nom d'Adam); d'autre part il y a un lien évident entre la sanctification (sancti+ficaset le domaine spirituel ; quant aux bénédictions (bene+dicis), elles sont ici même mises en relation avec le monde corporel.





 

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