La connaissance directe de l’ordre transcendant, avec la
certitude absolue qu’elle implique, est évidemment, en elle-même,
incommunicable et inexprimable ; toute expression, étant nécessairement
formelle par définition même, et par conséquent individuelle [1],
lui est par là même inadéquate et ne peut en donner, en quelque sorte, qu’un
reflet dans l’ordre humain. Ce reflet peut aider certains êtres à atteindre
réellement cette même connaissance, en éveillant en eux les facultés
supérieures, mais, comme nous l’avons déjà dit, il ne saurait aucunement les dispenser
de faire personnellement ce que nul ne peut faire pour eux ; il est
seulement un « support » pour leur travail intérieur. Il y a
d’ailleurs, à cet égard, une grande différence à faire, comme moyens
d’expression, entre les symboles et le langage ordinaire ; nous avons
expliqué précédemment que les symboles, par leur caractère essentiellement
synthétique, sont particulièrement aptes à servir de point d’appui à
l’intuition intellectuelle, tandis que le langage, qui est essentiellement
analytique, n’est proprement que l’instrument de la pensée discursive et
rationnelle. Encore faut-il ajouter que les symboles, par leur coté
« non-humain », portent en eux-mêmes une influence dont l’action est
susceptible d’éveiller directement la faculté intuitive chez ceux qui les
méditent de la façon voulue ; mais ceci se rapporte uniquement à leur
usage en quelque sorte rituel comme support de méditation, et non point aux
commentaires verbaux qu’il est possible de faire sur leur signification, et qui
n’en représentent dans tous les cas qu’une étude encore extérieure [2].
Le langage humain étant étroitement lié, par sa constitution même, à l’exercice
de la faculté rationnelle, il s’ensuit que tout ce qui est exprimé ou traduit
au moyen de ce langage prend forcément, d’une façon plus ou moins explicite,
une forme de « raisonnement » ; mais on doit comprendre qu’il ne
peut cependant y avoir qu’une similitude toute apparente et extérieure,
similitude de forme et non de fond, entre le raisonnement ordinaire,
concernant les choses du domaine individuel qui sont celles auxquelles il est
proprement et directement applicable, et celui qui est destiné à refléter,
autant qu’il est possible, quelque chose des vérités d’ordre supra-individuel.
C’est pourquoi nous avons dit que l’enseignement initiatique ne devait jamais
prendre une forme « systématique », mais devait au contraire toujours
s’ouvrir sur des possibilités illimitées, de façon à réserver la part de
l’inexprimable, qui est en réalité tout l’essentiel ; et, par là, le
langage lui-même, lorsqu’il est appliqué aux vérités de cet ordre, participe en
quelque sorte au caractère des symboles proprement dits [3].
[1] Nous rappellerons que la forme est, parmi les conditions
de l’existence manifestée, celle qui caractérise proprement tout état
individuel comme tel.
[2] Ceci ne veut pas dire,
bien entendu, que celui qui explique les symboles en se servant du langage
ordinaire n’en a forcément lui-même qu’une connaissance extérieure, mais
seulement que celle-ci est tout ce qu’il peut communiquer aux autres par de
telles explications.
[3] Cet usage supérieur du langage
est surtout possible quand il s’agit des langues sacrées, qui précisément sont
telles parce qu’elles sont constituées de telle sorte quelles portent en
elles-mêmes ce caractère proprement symbolique ; il est naturellement
beaucoup plus difficile avec les langues ordinaires, surtout lorsque celles-ci
ne sont employées habituellement que pour exprimer des points de vue profanes
comme c’est le cas pour les langues modernes.
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