Des qualifications initiatiques (extrait du chapitre XIV)

     Maintenant, il y a encore quelque chose de plus : si l’on examine de près la liste des défauts corporels qui sont considérés comme des empêchements à l’initiation, on constatera qu’il en est parmi eux qui ne semblent pas très graves extérieurement, et qui, en tout cas, ne sont pas tels qu’ils puissent s’opposer à ce qu’un homme exerce le métier de constructeur [1]. C’est donc qu’il n’y a là encore qu’une explication partielle, bien qu’exacte dans toute la mesure où elle est applicable, et que, en outre des conditions requises par le métier, l’initiation en exige d’autres qui n’ont plus rien à voir avec celui-ci, mais qui sont uniquement en rapport avec les modalités du travail rituélique, envisagé d’ailleurs non pas seulement dans sa « matérialité », si l’on peut dire, mais surtout comme devant produire des résultats effectifs pour l’être qui l’accomplit. Ceci apparaîtra d’autant plus nettement que, parmi les diverses formulations des landmarks (car, bien que non écrits en principe, ils ont cependant été souvent l’objet d’énumérations plus ou moins détaillées), on se reportera aux plus anciennes, c’est-à-dire à une époque où les choses dont il s’agit étaient encore connues, et même, pour quelques-uns tout au moins, connues d’une façon qui n’était pas simplement théorique ou « spéculative », mais réellement « opérative », dans le vrai sens auquel nous faisions allusion plus haut. En faisant cet examen, on pourra même s’apercevoir d’une chose qui, assurément, semblerait aujourd’hui tout à fait extraordinaire à certains s’ils étaient capables de s’en rendre compte : c’est que les empêchements à l’initiation, dans la Maçonnerie, coïncident presque entièrement avec ce que sont, dans l’Église catholique, les empêchements à l’ordination [2].

     Ce dernier point est encore de ceux qui, pour être bien compris, appellent quelque commentaire, car on pourrait, à première vue, être tenté de supposer qu’il y a là une certaine confusion entre des choses d’ordre différent, d’autant plus que nous avons souvent insisté sur la distinction essentielle qui existe entre les deux domaines initiatique et religieux, et qui, par conséquent, doit se retrouver aussi entre les rites qui se rapportent respectivement à l’un et à l’autre. Cependant, il n’est pas besoin de réfléchir bien longuement pour comprendre qu’il doit y avoir des lois générales conditionnant l’accomplissement des rites, de quelque ordre qu’ils soient, puisqu’il s’agit toujours, en somme, de la mise en œuvre de certaines influences spirituelles, quoique le but en soit naturellement différent suivant les cas. D’un autre côté, on pourrait aussi objecter que, dans le cas de l’ordination, il s’agit proprement de l’aptitude à remplir certaines fonctions [3], tandis que, pour ce qui est de l’initiation, les qualifications requises pour la recevoir sont distinctes de celles qui peuvent être nécessaires pour exercer en outre une fonction dans une organisation initiatique (fonction concernant principalement la transmission de l’influence spirituelle) ; et il est exact que ce n’est pas à ce point de vue des fonctions qu’il faut se placer pour que la similitude soit véritablement applicable. Ce qu’il faut considérer, c’est que, dans une organisation religieuse du type de celle du Catholicisme, le prêtre seul accomplit activement les rites, alors que les laïques n’y participent qu’en mode « réceptif » ; par contre, l’activité dans l’ordre rituélique constitue toujours, et sans aucune exception, un élément essentiel de toute méthode initiatique, de telle sorte que cette méthode implique nécessairement la possibilité d’exercer une telle activité. C’est donc, en définitive, cet accomplissement actif des rites qui exige, en dehors de la qualification proprement intellectuelle, certaines qualifications secondaires, variables en partie suivant le caractère spécial que revêtent ces rites dans telle ou telle forme initiatique, mais parmi lesquelles l’absence de certains défauts corporels joue toujours un rôle important, soit en tant que ces défauts font directement obstacle à l’accomplissement des rites, soit en tant qu’ils sont le signe extérieur de défauts correspondants dans les éléments subtils de l’être. C’est là surtout la conclusion que nous voulions arriver à dégager de toutes ces considérations ; et, au fond, ce qui paraît ici se rapporter plus spécialement à un cas particulier, celui de l’initiation maçonnique, n’a été pour nous que le moyen le plus commode d’exposer ces choses, qu’il nous reste encore à rendre plus précises à l’aide de quelques exemples déterminés d’empêchements dus à des défauts corporels ou à des défauts psychiques manifestés sensiblement par ceux-ci.




[1] Ainsi, pour donner un exemple précis en ce genre, on ne voit pas en quoi un bègue pourrait être gêné dans l’exercice de ce métier par son infirmité
[2] Il en est ainsi, en particulier, pour ce qu’on appelait au XVIIIe siècle la « règle de la lettre B », c’est-à-dire pour les empêchements qui sont constitués, de part et d’autre également, par une série d’infirmités et de défauts corporels dont les noms en français, par une coïncidence assez curieuse, commencent tous par cette même lettre B. 

[3] Ce cas est d’ailleurs, comme nous l’avons fait remarquer précédemment, le seul où des qualifications particulières puissent être exigées dans une organisation traditionnelle d’ordre exotérique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.