Extrait 1
[…] Il nous faut maintenant insister encore à cet égard sur
un point capital : c’est que le rattachement dont il s’agit doit être réel et
effectif, et qu’un soi-disant rattachement « idéal », tel que certains se sont
plu parfois à l’envisager à notre époque, est entièrement vain et de nul effet
[1]. Cela est facile à comprendre, puisqu’il s’agit proprement de la
transmission d’une influence spirituelle, qui doit s’effectuer selon des lois
définies ; et ces lois, pour être évidemment tout autres que celles qui régissent
les forces du monde corporel, n’en sont pas moins rigoureuses, et elles
présentent même avec ces dernières, en dépit des différences profondes qui les
en séparent, une certaine analogie, en vertu de la continuité et de la
correspondance qui existent entre tous les états ou les degrés de l’Existence
universelle. C’est cette analogie qui nous a permis, par exemple, de parler de
« vibration » à propos du Fiat Lux
par lequel est illuminé et ordonné le chaos des potentialités spirituelles,
bien qu’il ne s’agisse nullement là d’une vibration d’ordre sensible comme
celles qu’étudient les physiciens, pas plus que la « lumière » dont il est
question ne peut être identifiée à celle qui est saisie par la faculté visuelle
de l’organisme corporel [2] ; mais ces façons de parler, tout en étant
nécessairement symboliques, puisqu’elles sont fondées sur une analogie ou sur
une correspondance, n’en sont pas moins légitimes et strictement justifiées,
car cette analogie et cette correspondance existent bien réellement dans la
nature même des choses et vont même, en un certain sens, beaucoup plus loin
qu’on ne pourrait le supposer [3]. Nous aurons à revenir plus amplement sur ces
considérations lorsque nous parlerons des rites initiatiques et de leur
efficacité ; pour le moment, il suffit d’en retenir qu’il y a là des lois dont
il faut forcément tenir compte, faute de quoi le résultat visé ne pourrait pas
plus être atteint qu’un effet physique ne peut être obtenu si l’on ne se place
pas dans les conditions requises en vertu des lois auxquelles sa production est
soumise ; et, dès lors qu’il s’agit d’une transmission à opérer effectivement,
cela implique manifestement un contact réel, quelles que soient d’ailleurs les
modalités par lesquelles il pourra être établi, modalités qui seront
naturellement déterminées par ces lois d’action des influences spirituelles
auxquelles nous venons de faire allusion.[…]
[1] Pour des exemples de ce soi-disant rattachement « idéal
», par lequel certains vont jusqu’à prétendre faire revivre des formes
traditionnelles entièrement disparues, voir
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XXXVI ; nous y
reviendrons d’ailleurs un peu plus loin.
[2] Des expressions comme celles de « Lumière intelligible »
et de « Lumière spirituelle », ou d’autres expressions équivalentes à
celles-là, sont d’ailleurs bien connues dans toutes les doctrines
traditionnelles, tant occidentales qu’orientales ; et nous rappellerons
seulement d’une façon plus particulière, à ce propos, l’assimilation, dans la
tradition islamique, de l’Esprit (Er-Rûh),
dans son essence même, à la Lumière (En-Nûr).
[3] C’est l’incompréhension d’une telle analogie, prise à
tort pour une identité, qui, jointe à la constatation d’une certaine similitude
dans les modes d’action et les effets extérieurs, a amené certains à se faire
une conception erronée et plus ou moins grossièrement matérialisée, non
seulement des influences psychiques ou subtiles, mais des influences
spirituelles elles-mêmes, les assimilant purement et simplement à des forces «
physiques », au sens le plus restreint de ce mot, telles que l’électricité ou
le magnétisme ; et de cette même incompréhension a pu venir aussi, au moins en
partie, l’idée trop répandue de chercher à établir des rapprochements entre les
connaissances traditionnelles et les points de vue de la science moderne et
profane, idée absolument vaine et illusoire, puisque ce sont là des choses qui
n’appartiennent pas au même domaine, et que d’ailleurs le point de vue profane
en lui-même est proprement illégitime. – Cf.
Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, ch. XVIII.
Extrait 2
[…] Passant maintenant à
l’autre côté de la question, c’est-à-dire à celui qui se rapporte aux
organisations initiatiques elles-mêmes, nous dirons ceci : il est trop
évident qu’on ne peut transmettre que ce qu’on possède soi-même ; par
conséquent, il faut nécessairement qu’une organisation soit effectivement
dépositaire d’une influence spirituelle pour pouvoir la communiquer aux
individus qui se rattachent à elle ; et ceci exclut immédiatement toutes
les formations pseudo-initiatiques, si nombreuses à notre époque, et dépourvues
de tout caractère authentiquement traditionnel. Dans ces conditions, en effet,
une organisation initiatique ne saurait être le produit d’une fantaisie
individuelle ; elle ne peut être fondée, à la façon d’une association
profane, sur l’initiative de quelques personnes qui décident de se réunir en
adoptant des formes quelconques ; et, même si ces formes ne sont pas
inventées de toutes pièces, mais empruntées à des rites réellement
traditionnels dont les fondateurs auraient eu quelque connaissance par
« érudition », elles n’en seront pas plus valables pour cela, car, à
défaut de filiation régulière, la transmission de l’influence spirituelle est
impossible et inexistante, si bien que, en pareil cas, on n’a affaire qu’à une
vulgaire contrefaçon de l’initiation. À plus forte raison en est-il ainsi
lorsqu’il ne s’agit que de reconstitutions purement hypothétiques, pour ne pas
dire imaginaires, de formes traditionnelles disparues depuis un temps plus ou
moins reculé, comme celles de l’Égypte ancienne ou de la Chaldée par
exemple ; et, même s’il y avait dans l’emploi de telles formes une volonté
sérieuse de se rattacher à la tradition à laquelle elles ont appartenu, elles
n’en seraient pas plus efficaces, car on ne peut se rattacher en réalité qu’à
quelque chose qui a une existence actuelle, et encore faut-il pour cela, comme
nous le disions en ce qui concerne les individus, être « accepté »
par les représentants autorisés de la tradition à laquelle on se réfère, de
telle sorte qu’une organisation apparemment nouvelle ne pourra être légitime
que si elle est comme un prolongement d’une organisation préexistante, de façon
à maintenir sans aucune interruption la continuité de la « chaîne »
initiatique.
En tout ceci, nous ne faisons en somme qu’exprimer en d’autres termes et plus explicitement ce que nous avons déjà dit plus haut sur la nécessité d’un rattachement effectif et direct et la vanité d’un rattachement « idéal » ; et il ne faut pas, à cet égard, se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations qui n’y ont aucun droit, mais qui essaient de se donner par là une apparence d’authenticité. […]
En tout ceci, nous ne faisons en somme qu’exprimer en d’autres termes et plus explicitement ce que nous avons déjà dit plus haut sur la nécessité d’un rattachement effectif et direct et la vanité d’un rattachement « idéal » ; et il ne faut pas, à cet égard, se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations qui n’y ont aucun droit, mais qui essaient de se donner par là une apparence d’authenticité. […]
Extrait 3
Ajoutons encore, comme autre conséquence de ce qui précède,
que, lors même qu’il s’agit d’une organisation authentiquement initiatique, ses
membres n’ont pas le pouvoir d’en changer les formes à leur gré ou de les
altérer dans ce qu’elles ont « d’essentiel » ; cela n’exclut pas
certaines possibilités d’adaptation aux circonstances, qui d’ailleurs
s’imposent aux individus bien plutôt qu’elles ne dérivent de leur volonté, mais
qui, en tout cas, sont limitées par la condition de ne pas porter atteinte aux
moyens par lesquels sont assurées la conservation et la transmission de
l’influence spirituelle dont l’organisation considérée est dépositaire ;
si cette condition n’était pas observée, il en résulterait une véritable
rupture avec la tradition, qui ferait perdre à cette organisation sa
« régularité ». En outre, une organisation initiatique ne peut
valablement incorporer à ses rites des éléments empruntés à des formes traditionnelles
autres que celle suivant laquelle elle est régulièrement constituée [1] ;
de tels éléments, dont l’adoption aurait un caractère tout artificiel, ne
représenteraient que de simples fantaisies superfétatoires, sans aucune
efficacité au point de vue initiatique, et qui par conséquent n’ajouteraient
absolument rien de réel, mais dont la présence ne pourrait même être, en raison
de leur hétérogénéité, qu’une cause de trouble et de désharmonie ; le
danger de tels mélanges est du reste loin d’être limité au seul domaine
initiatique, et c’est là un point assez important pour mériter d’être traité à
part. Les lois qui président au maniement des influences spirituelles sont d’ailleurs
chose trop complexe et trop délicate pour que ceux qui n’en ont pas une
connaissance suffisante puissent se permettre impunément d’apporter des
modifications plus ou moins arbitraires à des formes rituéliques où tout a sa
raison d’être, et dont la portée exacte risque fort de leur échapper.
Ce qui résulte clairement de tout cela, c’est la nullité des initiatives individuelles quant à la constitution des organisations initiatiques, soit en ce qui concerne leur origine même, soit sous le rapport des formes qu’elles revêtent ; et l’on peut remarquer à ce propos que, en fait, il n’existe pas de formes rituéliques traditionnelles auxquelles on puisse assigner comme auteurs des individus déterminés. Il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, si l’on réfléchit que le but essentiel et final de l’initiation dépasse le domaine de l’individualité et ses possibilités particulières, ce qui serait impossible si l’on en était réduit à des moyens d’ordre purement humain ; de cette simple remarque, et sans même aller au fond des choses, on peut donc conclure immédiatement qu’il y faut la présence d’un élément « non-humain », et tel est bien en effet le caractère de l’influence spirituelle dont la transmission constitue l’initiation proprement dite.
Ce qui résulte clairement de tout cela, c’est la nullité des initiatives individuelles quant à la constitution des organisations initiatiques, soit en ce qui concerne leur origine même, soit sous le rapport des formes qu’elles revêtent ; et l’on peut remarquer à ce propos que, en fait, il n’existe pas de formes rituéliques traditionnelles auxquelles on puisse assigner comme auteurs des individus déterminés. Il est facile de comprendre qu’il en soit ainsi, si l’on réfléchit que le but essentiel et final de l’initiation dépasse le domaine de l’individualité et ses possibilités particulières, ce qui serait impossible si l’on en était réduit à des moyens d’ordre purement humain ; de cette simple remarque, et sans même aller au fond des choses, on peut donc conclure immédiatement qu’il y faut la présence d’un élément « non-humain », et tel est bien en effet le caractère de l’influence spirituelle dont la transmission constitue l’initiation proprement dite.
[1] C’est ainsi que, assez récemment, certains ont voulu essayer
d’introduire dans la Maçonnerie, qui est une forme initiatique proprement
occidentale, des éléments empruntés à des doctrines orientales, dont ils
n’avaient d’ailleurs qu’une connaissance tout extérieure ; on en trouvera
un exemple cité dans L’Ésotérisme
de Dante, p. 20.
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