La fraction de l'hostie, l'Agnus Dei, le baiser de paix et la communion

Les éléments qui composent la dernière partie de la messe forment un enchaînement qu’il convient d’envisager dans son ensemble. L’hostie y représente le Verbe total, dont la fragmentation apparente manifeste l’Existence, chacune de ses fractions correspondant à un des états de l’Être (cf. L’Homme et son Devenir selon le Vêdânta, début du ch.XVI; "Rassembler ce qui est épars"; Le symbolisme de la Croix, ch.VI); et elle représente encore l’Agneau Divin par l’immolation duquel la grâce se répand à travers tous les degrés de la Création.

Aux mots « Per eumdem Dominum Jesum Christum Filium tuum », le célébrant rompt l’hostie en deux : on pourrait dire en quelque sorte, et d'une façon certes bien impropre, qu'une moitié reste non-manifestée dans le sein du Père, jouissant éternellement de la béatitude trinitaire, tandis que l’autre produit la manifestation informelle des principes universels, des attributs divins, des états angéliques.

Ensuite, aux mots « qui tecum vivit et regnat… », le célébrant détache par le bas une parcelle de cette deuxième moitié, parcelle par laquelle la Miséricorde divine descendra dans notre monde, y apparaissant comme « Paix » (Gloria in excelsis Deo, et in terra Pax hominibus bonae voluntatis ; cf. Le Roi du monde, chap. III), et pour cela, aux mots « Pax + domini sit + semper vobis+cum », il fait avec cette parcelle trois signes de croix au-dessus du calice, puis l'y laisse tomber, ce calice représentant le lieu du "contact" divin, le "cœur" ou centre de notre monde.

Alors est récité l’Agnus Dei, qui exprime cette descente de la Miséricorde, par l’immolation de l’Agneau, de degré en degré, du plus élevé jusqu’au nôtre :

« Agnus Dei, qui tollis peccáta mundi, miserere nobis. »
« Agnus Dei, qui tollis peccáta mundi, miserere nobis. »
« Agnus Dei, qui tollis peccáta mundi, dona nobis pacem. »[1]

Chacune de ces invocations représente un état ou degré de l’être, et à chacune, on se frappe la poitrine ou plutôt le "cœur", image microcosmique du centre dont nous parlions à l'instant à propos du calice, et par où passe l'axe le long duquel descend l'esprit.

Puis, après la descente verticale de l’Agnus Dei, a lieu le rite du « baiser de paix » (du moins là où il est célébré), par lequel la « Paix » se répand horizontalement, de proche en proche, par un mouvement centrifuge à partir du centre de notre monde, représenté par l’autel (sur ce symbolisme, cf. Le Symbolisme de la Croix) : après avoir baisé celui-ci, le prêtre donne le baiser de paix au diacre, qui le communique au sous-diacre, et ainsi de suite, jusqu'à ce que la grâce parvienne à notre monde corporel où, dans le rite qui suit, nous la recevons en nous par la consommation de l’hostie.

Maintenant, l'assimilation nutritive symbolisant l'assimilation cognitive (cf. La Grande TriadeCh.XXV), cette consommation comprend une signification bien supérieure encore, car, comme l'a dit Aristote, "l'âme est tout ce qu'elle connait"; autrement dit, l'être et le connaître ne sont que les deux faces inséparables d'une seule et même réalité, et il n'y a de connaissance véritable qu'autant qu'elle implique une identité du connaissant et du connu (cf. Les états multiples de l'être, ch.XV). Or, dans le rite de la communion, le prêtre absorbe l'hostie toute entière, et non pas seulement la parcelle tombée dans le calice, ni même l'une ou l'autre de ses moitiés ; aussi, celui qui accomplit effectivement ce que le rite de la communion symbolise "rassemble ce qui est épars" et, par l'intégration et la communion parfaite de la totalité des états de l'être, il est l'"Homme Universel".



[1] A propos de cette formule, il est peut-être bon de rappeler la relation qui, selon Guénon, unit l’Agneau du symbolisme chrétien à l’Agni védique (dont le véhicule est d’ailleurs représenté par le bélier), et donc au symbolisme du feu (ignis en latin, agent de la "rénovation de la nature" selon la doctrine hermétique), qui, sous un de ses aspects, se lie dans diverses formes traditionnelles assez étroitement à l’idée de l’« Amour », transposé en un sens supérieur comme le fait Dante.

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